Me Xavier Oberson, Avocat chez Oberson Abels et Professeur de droit fiscal suisse et international à l’Université de Genève, xoberson@obersonabels.com
Me Gregory Clerc, Avocat chez Oberson Abels, gclerc@obersonabels.com

Comme chaque État, la Suisse fait son possible pour proposer des conditions séduisantes aux personnes désirant s’y établir, notamment une politique fiscale attrayante.

Ainsi, un étranger qui prend domicile en Suisse a, à certaines conditions, deux possibilités d’imposition qui s’offrent à lui : d’une part, l’imposition selon le régime ordinaire et, d’autre part, l’imposition selon la dépense également connue sous le nom de « forfait fiscal ».

Le régime ordinaire

Le régime ordinaire, comme son nom l’indique, s’applique à tous, notamment aux Suisses résidant dans le pays et aux ressortissants étrangers au bénéfice d’une autorisation de séjour ou d’établissement (permis B et C) qui n’ont pas sollicité d’être imposés d’après la dépense ou n’en remplissent pas les conditions. Les personnes physiques qui ont leur domicile fiscal en Suisse sont assujetties de manière illimitée. Une personne a son domicile en Suisse lorsqu’elle y réside durablement avec l’intention de s’y établir (critère du centre des intérêts vitaux).

En cas d’assujettissement illimité, le contribuable, suisse ou étranger, est notamment soumis aux impôts sur le revenu (aux niveaux fédéral et cantonal) et sur la fortune (uniquement au niveau cantonal). Ces impositions visent l’ensemble du patrimoine et des revenus mondiaux, à l’exception des immeubles et entreprises exploitées à l’étranger (ces éléments sont en revanche considérés pour déterminer les taux d’imposition).

L’impôt sur le revenu est perçu sur l’ensemble du revenu, notamment sur :
– le revenu provenant d’une activité lucrative dépendante ainsi que les revenus accessoires;
– le revenu provenant d’une activité lucrative indépendante (y compris les bénéfices en capital provenant de l’aliénation d’éléments de la fortune commerciale);
– les revenus provenant de la prévoyance (les prestations en capital et les rentes provenant des 1er et 2ème piliers);
– les rendements de la fortune mobilière et immobilière;
– les autres revenus (tels que les gains de loterie ou d’opérations analogues de plus de CHF 1’000).

Les barèmes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sont aménagés de façon progressive, avec des taux augmentant en fonction du revenu. Le taux maximum de l’impôt sur le revenu au niveau fédéral est de 11,5 %. Par ailleurs, chaque canton dispose de son propre barème au niveau cantonal ; à titre d’exemple, dans le canton de Genève le taux maximum de l’impôt sur le revenu est de 46%, alors que dans le canton de Vaud il est de 41.5%.

Pour ce qui est de l’impôt sur la fortune, qui est de la compétence exclusive des cantons, il a pour objet l’ensemble de la fortune du contribuable. Font notamment partie de la fortune imposable tous les biens mobiliers (par ex. titres, avoirs en banque, voiture) et immobiliers (par ex. immeubles en Suisse), les assurances sur la vie et de rente susceptibles de rachat. Le taux de l’impôt sur la fortune est également progressif. A titre d’exemple, le taux maximum de l’impôt sur la fortune est de 1.03% dans le canton de Genève et de 0.81% dans le canton de Vaud.

Il sied de mentionner que l’impôt sur la fortune compte à l’heure actuelle parmi les impôts les plus dommageables à la Suisse en comparaison internationale. En effet, la Suisse sera bientôt le seul pays au monde à prélever un impôt sur la fortune des personnes physique aussi large. Le mécanisme dit de bouclier fiscal limite certes, dans certains cas, la charge de l’impôt cantonal et communal à une certaine proportion des revenus (60% actuellement à Genève). Nous sommes toutefois d’avis que l’imposition de la fortune relève d’un autre temps et participe à rendre la Suisse moins compétitive sur le plan mondial. Partant, nous estimons essentiel que l’imposition des personnes physiques fasse prochainement l’objet d’une réforme et œuvrons dans ce sens.

Le forfait fiscal

L’imposition selon la dépense est une institution séculaire en Suisse, très en vogue dans certains cantons (Vaud ou Genève notamment), bien qu’abolie dans d’autres, essentiellement suisses alémaniques.

Toutefois, le maintien de ce régime d’imposition en Suisse semble assez sûr de nos jours, dès lors que le peuple suisse a décidé de conserver cette modalité d’imposition à une écrasante majorité à l’occasion de la votation fédérale du 30 novembre 2014. Les conditions d’obtention:

Un contribuable, pour pouvoir avoir le droit d’être imposé d’après la dépense, doit impérativement remplir les conditions suivantes:

– ne pas avoir la nationalité suisse;

– être assujetti à titre illimité pour la première fois en Suisse ou après une absence d’au moins 10 ans. En pratique, seuls les ressortissants étrangers domiciliés en Suisse qui en font la demande peuvent bénéficier de l’imposition d’après la dépense, ce qui implique qu’ils doivent être titulaires d’une autorisation de séjour. A ce sujet, il convient de distinguer les européens originaires d’un Etat membre de l’UE ou de l’AELE et les ressortissants d’un Etat tiers. Pour ce qui est des ressortissants européens, ils bénéficient de la libre circulation des personnes. Partant, ils ont droit à l’obtention d’une autorisation de séjour s’ils remplissent un certain nombre de conditions, notamment, s’ils disposent de moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l’aide sociale pendant leur séjour en Suisse et s’ils disposent d’une assurance maladie. Pour ce qui est des ressortissants des Etats tiers, il existe deux voies possibles. Si la personne en question satisfait certaines conditions, notamment si elle est âgée de plus de 55 ans et si elle a des liens personnels particuliers avec la Suisse, elle peut solliciter une autorisation de séjour pour rentier. Toutefois, si elle ne remplit pas ces conditions, alors elle peut solliciter une autorisation de séjour en invoquant le fait qu’une telle autorisation doit lui être octroyée en raison « d’intérêts publics majeurs ». Les cantons disposent d’une certaine marge de manœuvre à ce niveau. Les intérêts culturels importants ou les intérêts cantonaux majeurs en matière de fiscalité sont normalement pris en considération. Dans ce dernier cas, soit les cantons majorent les impôts dus, soit fixent un montant minimum de base imposable. Dans les cantons de Genève et de Vaud, à titre d’exemple, la base imposable minimum pour le forfait est de l’ordre de CHF 1’000’000 respectivement CHF 800’000;

– ne pas exercer d’activité lucrative en Suisse. Toutefois, le contribuable imposé selon la dépense peut investir en Suisse (en se limitant au rôle de l’investisseur) ou avoir une activité lucrative à l’étranger selon les cantons.

Le calcul de l’impôt dû:

L’imposition retenue par l’administration fiscale dépend de trois normes comparatives:

– L’impôt calculé au taux ordinaire de l’impôt sur le revenu appliqué au montant de la dépense elle-même. Le montant des dépenses concernant l’impôt fédéral direct ne peut pas être inférieur à CHF 400’000. Pour ce qui est de l’impôt cantonal et communal, il appartient à chaque canton de déterminer le montant minimum. Ce seuil minimum est de CHF 400’000 à Genève et d’environ CHF 360’000 dans le canton de Vaud;

– L’impôt calculé sur le septuple de la valeur locative ou du loyer brut (avec des modalités différentes pour les contribuables vivant à l’hôtel ou en pension);

– L’impôt qui résulte de l’ensemble des éléments de revenu et de fortune de source suisse et des éléments de revenus pour lesquels le bénéfice d’une convention visant à empêcher les double impositions est demandé (calcul de contrôle).

Le plus élevé de ces trois montants est retenu.

Enfin, depuis le 1er janvier 2016, il est également tenu compte de l’imposition sur la fortune. Dans le canton de Genève, la solution consiste à majorer de 10% le montant sur lequel l’impôt est calculé. Par conséquent, un contribuable payant un loyer mensuel de CHF 5’000 peut être imposé, au minimum, sur un montant total de CHF 462’000 (CHF 5’000 x 12 x 7= CHF 420’000 + 10% = CHF 462’000). Dans le canton de Vaud, la situation est légèrement différente en ce sens que l’assiette imposable minimale est le montant le plus élevé entre i) CHF 415’000, montant qui comprend une majoration de 15% couvrant l’impôt sur la fortune, et ii) sept fois le loyer annuel ou la valeur locative, montant majoré de 10%.

Enfin, sans rentrer dans les détails, les personnes imposées d’après la dépense peuvent bénéficier des conventions de double imposition, avec des exigences particulières selon les Etats concernés.

Exemples concrets:

1) Famille française avec deux enfants, dont la fortune familiale est évaluée à CHF 50’000’000 après que le mari âgé de 55 ans a vendu son entreprise. Ils projettent de louer un appartement dans le canton de Genève pour un loyer mensuel de CHF 5’000 et n’ont pas l’intention de travailler en Suisse.Dans ce cas, nous sommes en présence de ressortissants européens, pouvant ainsi aisément venir s’installer en Suisse au forfait car ils répondent aux conditions susmentionnées. Le calcul de leur forfait, à supposer qu’il repose sur le septuple de la valeur locative, devrait ainsi être de l’ordre de CHF 462’000 (CHF 5’000 x 12 x 7= CHF 420’000 + 10% = CHF 462’000) ce qui porterait leurs impôts annuels minimum à environ CHF 155’000.

2) Famille russe ayant un enfant, dont la fortune familiale est évaluée à CHF 300’000’000 et dont l’époux âgé de 45 ans est actif dans le trading de matières premières. La famille entend louer un appartement dans le canton de Genève pour un loyer mensuel de CHF 5’000. Dans ce cas, nous sommes en présence de ressortissants d’un Etat tiers, qui plus est âgés de moins de 55 ans. Par conséquent, seul un intérêt public majeur en matière de fiscalité pourrait leur permettre d’obtenir une autorisation de séjour ; une imposition selon la dépense avec une base imposable augmentée à minimum CHF 1’000’000 pourrait représenter un tel intérêt majeur. Par ailleurs, pour obtenir un forfait, il serait impératif que l’époux n’ait aucune activité lucrative en Suisse. Enfin, avec une base imposable majorée à minimum CHF 1’000’000, le montant de leurs impôts annuels serait alors de l’ordre de CHF 400’000.

Conclusion:

Pour les personnes étrangères souhaitant venir s’installer en Suisse, il s’agit de déterminer au cas par cas quel mode d’imposition (ordinaire ou d’après la dépense) est le plus approprié/applicable au contribuable en question.
Enfin, l’imposition selon la dépense est un outil potentiellement très intéressant pour les personnes qui y seraient éligibles, rendant la Suisse attrayante sur la scène internationale. Qui plus est, avec la récente votation populaire du 30 novembre 2014 et les changements législatifs qui ont suivis, la pérennité du forfait fiscal devrait être assurée, renforçant l’attrait, pour les personnes fortunées, de la Suisse.