Genève l’internationale possède également un microcosme particulièrement atomisé lorsqu’il s’agit de bien immobiliers. Les acheteurs potentiels se retrouvent toutefois en 3 catégories bien distinctes qui ont chacune leurs attentes propres et qui ne se recouvrent pas toujours.

Les acheteurs traditionnels « middle-class » tirent la langue depuis quelques années déjà puisque les prix des biens ont pris l’ascenseur de façon inattendue. Sous l’impulsion des riches étrangers arrivant à Genève (ou dans sa région) et des expatriés qui ont bénéficié par le passé de packages intéressants pour se loger, les vendeurs, parfois trop gourmands mais qui sentaient arriver la chair fraîche mal renseignée et prête à tout, ont augmenté les prix des biens et ont profité de l’innocence des nouveaux arrivants. Malheureusement, tous les prix ont été revus à la hausse, même ceux des biens qui ne le méritaient pas vraiment, ce qui a fortement pénalisé les acheteurs locaux bénéficiant de moyens « traditionnels ». Ces acheteurs ont été également pénalisés par un récent coup de frein provenant de l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) qui impose désormais une limite de 10 % du prix d’achat financé par des fonds provenant de la prévoyance LPP (« 2e pilier »). Alors qu’il était peu inhabituel d’utiliser l’intégralité de son fonds LPP pour financer les 20% requis de fonds propres pour un achat, il est désormais nécessaire de posséder la différence en cash (minimum de 10% de fonds propres provenant d’une autre source), ce qui représente quand même rapidement quelques centaines de milliers de francs et n’est plus à la portée de tous… Si l’on ajoute à ça, l’obligation faite aux banques depuis le 1er septembre 2013 de fournir 1% de fonds propres en couverture des crédits hypothécaires, on voit que du côté de ces établissements, le robinet risque de se tarir progressivement aussi…

Peut alors se poser la question de savoir pourquoi la FINMA se positionne ainsi lorsque la Constitution suisse encourage en principe l’accession à la propriété… les réponses sont certainement à chercher au niveau des sous-couverture des caisses de prévoyance et leur future nécessaire recapitalisation. A fortiori si un nombre important d’assurés retirent leurs avoirs du deuxième pilier, sans les rembourser à temps, ceci signifiera dès lors l’obligation de revendre le bien immobilier ainsi financé au moment de la retraite, avec toute l’incertitude que cela sous-entend. En effet, si le marché devait baisser entre-temps, lesdits assurés se retrouveraient probablement tributaires de l’aide publique, ce qui ajouterait une charge supplémentaire aux cotisants qui n’auront pas retiré leurs avoirs et qui feront déjà face à un déséquilibre de la pyramide des âges, donc à une potentielle réduction de leurs rentes.

Une autre catégorie d’acheteurs se situe au centre du spectre, soit des villas (éventuellement jumelles) de taille respectable ou des appartements avec des finitions haut de gamme et dans un environnement de qualité. Ces potentiels acheteurs proviennent de plusieurs catégories qui leur assurent une certaine fortune et un revenu suffisant pour leur permettre de faire face aux dépenses d’entretien nécessaires au maintien du bien en bon état dans la durée. Ces biens sont généralement situés en ville pour les appartements ou à proximité dans la première couronne campagnarde, ce qui permet de bénéficier de dégagements importants, d’un bel ensoleillement et d’un environnement calme. Ils répondent à des critères de qualité quant aux finitions et aux standards énergétiques ou phoniques notamment. Ils offrent une possibilité d’évolution, transformation et décoration permettant aux acquéreurs de se les approprier en les transformant selon leurs goûts.

Les cadres supérieurs, en particulier provenant de multinationales, recherchent des villas avec jardin pouvant accueillir leur famille avec enfants. Le système alloué par les grandes sociétés a heureusement évolué puisque ces dernières ne donnent plus de chèques en blanc pour plusieurs années, mais font en sorte d’attribuer un montant de soutien pour une durée bien déterminée, ce qui oblige le nouvel immigrant à faire un choix d’habitation judicieux puisqu’il sait que dans un avenir relativement proche il pourra plus bénéficier de la manne de son employeur. De plus, les multinationales exposées à la monnaie européenne ou aux marchés financiers, font face à des nouveaux défis et doivent régulièrement penser à se restructurer, ce qui peut pousser les employés à éviter de prendre des engagements financiers à long terme. En tout état de cause, l’offre reste très tendue pour ce genre de biens car la demande est très soutenue. Les vendeurs « vautours » qui espéraient vendre à un prix surfait ont dû revoir leur grille de prix car les acheteurs (en particulier venant de l’étranger et qui formaient une belle cible il y a encore quelques temps) sont désormais éduqués et ne sont plus prêts à acheter n’importe quoi à n’importe quel prix…

Enfin, il reste le segment du grand luxe, où la démesure règne parfois… Genève continue d’attirer une population fortunée grâce à ses infrastructures et il est nécessaire de pouvoir accueillir ces habitants correctement et en fonction de leur niveau de standing. Les prix de ces biens comprennent un élément « d’amateur » qui fait que les valeurs peuvent parfois tendre vers le ciel en raison d’éléments bien particuliers et parfois totalement subjectifs. Même si cette catégorie d’acheteurs est en réalité faible par rapport à l’ensemble de la population locale, il est nécessaire de lui offrir des biens de qualité correspondant à ses critères esthétiques, de matériaux ou d’aménagement, car son impact sur l’économie locale et en tant que carte de visite du canton reste indéniable. En conclusion, force est de constater que, même si les prix ont fortement grimpé au cours des dernières années, ceux-ci ont tendance à se stabiliser désormais, voire même à baisser (à part pour quelques biens d’exception) car les acheteurs ont désormais une meilleure connaissance du marché locale et évitent les offres extravagantes sur des biens autrefois quelconques.

Malheureusement, la construction reste difficile et lente à Genève, ce qui réduit le développement du parc immobilier et maintient artificiellement des prix élevés en raison d’une liquidité insuffisante dans la quasi-totalité des segments de biens. Les taux d’intérêt restant faibles, y compris à long terme, la tentation de vouloir s’endetter pour acheter son « chez-soi » peut être grande, mais les incertitudes quant au futur poussent toutefois les potentiels acheteurs à attendre avant de prendre des risques qui pourraient se révéler difficiles à assumer dans le futur. Les banques font également attention à ne plus financer à tort et à travers, et l’on sent qu’il y a de leur côté une volonté de limiter leurs risques notamment en faisant des projections du service de la dette avec des taux techniques bien plus élevées que ceux en vigueur actuellement. Clairement, même si plusieurs éléments ont l’air de tirer à la même corde, une baisse massive des prix dans la région ne semble pas être pour demain…

M. Gary Bennaim, dipl IEI, MBA NYU, expert en immobilier pour la société Analyses & Développement sàrl, bennaim@expert-immo.ch